TERTRE ROTEBOEUF (François Mitjavile), Saint-Émilion grand cru - 2019
Commentaire de dégustation
Les conditions d’un millésime de caractère sont toujours quelque peu étranges. La saison fut sèche, avec de faibles réserves en eau. Puis une forte canicule en juillet, un été très chaud et sec. La vigne se trouvait en souffrance, avec de petits fruits, de couleur dense, corsés, et mûrissant difficilement. Et… nous eûmes des pluies orageuses, à l’approche des vendanges. Cela fut… fabuleux ! Le raisin, attendri par ce temps humide en fin de saison, présentait alors dans sa peau et ses pépins des saveurs gracieuses, assouplies, évoluées. Nous cherchons à comprendre, mais il est parfois difficile de dire le "pourquoi" du caractère de certains millésimes ; c’est le cas en 2019. Cette année apparait comme "expressive", de fruit mûr et profond, qui ira aisément vers les saveurs évolutives, tertiaires (ce nouveau commentaire est ajouté avant mise, en juillet 21). Un très beau millésime 2019 qui a bien sa personnalité, son charme propre. Les trois crus présentent cette expression de l’année : Tertre Roteboeuf peut être un peu plus profond, Roc de Cambes plus spectaculaire (cabernets sauvignons... ) et Domaine de Cambes particulièrement souple. (François Mitjavile)
C'est le plus abouti de la trilogie bordelaise des dernières années. La subtilité assez radieuse du 2019 évoque un fruit dense, noir, débridé, plein et riche, miroir du millésime. La bouche, bien que confite, laisse imaginer sa dynamique mais pour l’instant et par manque d’élevage, le tanin jeune reste anguleux. (RVF, millésime 2019, noté 98/100)
Le Château Tertre Roteboeuf 2019 montre joliment le style plus élégant et poli du millésime, tout en ayant ce style sexy, parfumé et complexe qui est la marque de fabrique de cette cuvée. De nombreuses notes de crème de cassis, de liqueur de kirsch, de tabac, de chocolat blanc, d'expresso et de violette émergent au nez, et cette beauté corsée possède un merveilleux sens de l'équilibre et de l'élégance, des tanins présents et une superbe finale. Ce sera un millésime relativement accessible de ce grand domaine, mais je parierais sur son évolution pendant 25 ans ou plus. (Jeb Dunnuck, millésime 2019, noté 95-97/100)
The 2019 Château Tertre Roteboeuf shows the more elegant, polished style of the vintage nicely yet still has that sexy, perfumed, complex style that's the hallmark of this cuvée. Loads of crème de cassis, kirsch liqueur, tobacco, white chocolate, espresso, and violet notes emerge on the nose, and this full-bodied beauty has a wonderful sense of balance and elegance, present tannins, and a great finish. It's going to be a relatively accessible vintage from this great estate, yet I would bet on it evolving for 25 years or more. (Jeb Dunnuck, millésime 2019, noté 95-97/100)
The 2019 Le Tertre Roteboeuf is a terrific success from the Mitjaville family. This amphitheatrical vineyard on the clay-limestone slopes of Saint-Laurent-des-Combes, planted with low, cordon-trained vines, has delivered a striking wine that wafts from the glass with aromas of cassis, blackberries and cherries mingled with notions of violets, cigar box, sweet spices and loamy soil. Full-bodied, layered and concentrated, with a deep core of fruit, velvety tannins and lively acids, it will richly reward a decade and more of bottle age. Interestingly, proprietor François Mitjaville contended that 2019's distribution of rainfall had tended to invert the usual stylistic distinction between Tertre Roteboeuf and Roc de Cambes, his wine from the Côtes de Bourg; yet, on the day of our tasting, geology trumped weather, because as usual the former was more sensual, the latter blockier and more structured. (Guide Parker, millésime 2019, noté 97/100)
Présentation du domaine
Spécialiste du Merlot, la famille Mitjavile s'est établie en maître sur la rive droite du vignoble bordelais et qui incarne aujourd'hui le mieux les nobles valeurs paysannes de la viticulture française. Depuis le milieu des années 1980, les Mitjavile ont révolutionné l’image des grands Saint-Émilion. François Mitjavile avait déjà un passé glorieux puisqu’il a exercé le métier de vinificateur en compagnie de Thierry Manoncourt du Château Figeac.
Les terroirs étant de haut niveau, il n'est pas nécessaire de produire une "tête de cuvée", et séparer un second vin : les vins reflètent le caractère, pur, du fruit récolté. Sous le climat bordelais, humide, pluvieux... et chaud, le fruit mûrit avec des saveurs diverses selon l'année ; il semble essentiel de présenter cette diversité. François Mitjavile refuse la mode qui va vers des vins "puissants", "impressionnants", et préfère l'émotion que procure le "paysage aromatique". Ces vins sont d'une grande intensité expressive, mais gracieuse, rafraîchissante et digeste. François Mitjavile rend ses vins évolutifs : il entend par là un véritable et long travail d'élevage en barriques : "dès la mise en bouteilles nous avons engagé un processus évolutif des saveurs : couleur à maturité, apparition du bouquet". Ces vins ne se ferment pas, sont délicieux dès leur jeunesse, avec une évolution remarquable durant 30-40 ans. Par vin évolutif, il entend que la transformation des saveurs accompagne le temps qui passe. Différent jeune, puis 5 ans, 10 ans, et 20 ans après.
Tout démarre de la maturité du raisin. Les plus grandes bouteilles sont toujours rares, car elles demandent une date de vendange dangereuse, quand le fruit, opulent, atteint un état de grande fragilité (regardez le panier de fruits sur votre table : les meilleurs sont tout près de s'abîmer, voire de pourrir – nous en sommes peu conscients car les fruits magnifiques sont tout simplement...intransportables !). Attention, le jeu est difficile : un état de grande fragilité, d’opulence…et de fraîcheur ! La grande maturité, qui présente des tannins profonds (ils ont perdu leur astringence), charmeurs et expressifs, dégrade toujours légèrement la couleur, qui a des nuances plus mûres, moins intenses. Ensuite l'élevage de ce vin pourra se faire dans un chai tempéré (non climatisé), avec des apports réguliers d'oxygène (par les barriques, dans celles-ci ou encore par de nombreux soutirages). L'important n'est pas "l'exposition à l'oxygène", mais l'action de ce dernier sur les combinaisons moléculaires, afin de permettre l'évolution des saveurs, sans être oxydatives. La maturité parfaite du fruit, dont nous parlions tout à l’heure, supportera parfaitement ce travail, et le vin se dirigera vers un "processus évolutif" (au cours des années les aromes évolueront, deviendront « tertiaires », et l’amateur reconnaîtra là les saveurs du temps qui passe…). Là encore, il s'agit d'un travail plus difficile et risqué, si le savoir-faire n'est pas parfait. De tous temps, ce fut le cas.
Le château Roc de Cambes acquit en 1987 par François Mitjavile. La région de Bourg sur Gironde est, depuis fort longtemps, renommée pour la qualité de ses vins. Il s’agit d’un vignoble de côtes (Côtes de Bourg) qui comprend, depuis la Gironde, trois versants successifs, face au Sud. Le premier front de côte, qui domine l’estuaire, est très réputé. En effet, l’ensoleillement est tempéré par l’effet régulateur de la Gironde, qui atténue les à-coups de chaleur ou de froid, et permet une photosynthèse régulière, donc des fruits excellents. Sur ce premier versant, à environ 300 m à l’Est de la citadelle de Bourg, se trouve le Roc de Cambes. Ce cru séculaire est composé d’un amphithéâtre en coteaux, et comprend une cave magnifique du XIVe siècle.
Le Domaine de Cambes appartient au Château Roc de Cambes, et borde l’estuaire de la Gironde, qui coule le long des coteaux. Il s’agit donc de pieds de côte, dont nous connaissons de très célèbres exemples en Bordelais. Cependant, ici l’influence de la Gironde tempère le climat et ajoute ses limons. A l’analyse, le sol est argilo-calcaire, basique, permettant un long cycle végétatif, (terre retenant la fraîcheur), donc la production de vin de type puissant et de récolte tardive.
C'est en 2007, après des années de conseils sur différentes propriétés à travers le monde, que Caroline et Louis Mitjavile ont décidé d'acquérir leur propriété. Après de nombreuses visites infructueuses, ils sont tombés sur le charme du "Château Cadet", qu'ils renommeront L'Aurage en 2009. Leur désir était de trouver un vignoble rive droite, mais sans pour autant être à Saint Emilion, où la famille Mitjavile est déjà implantée, avec notamment le Château Tertre Roteboeuf la propriété de François et Emilie Mitjavile, les parents de Louis. L'Aurage, un Côtes de Castillon, vallonné, sauvage, dans le prolongement des coteaux de Saint Emilion, sur la ligne argilo-calcaire, le domaine se compose de 22 hectares d'un seul tenant. Les sols argilo calcaire, régulent les apports hydriques de la vigne, évitent le stress de la plante, le cycle végétatif est plus long, ce qui permet d'obtenir des vins généralement plus riches, denses et équilibrés.
Caractéristiques
La presse spécialisée en parle
Voici une propriété qui attise la curiosité des amateurs à la recherche d'un style bordelais singulier. Inspirée par François Mitjavile, du château Tertre Rotebœuf à Saint-Émilion, la production se compose du domaine de Cambes (en appellation Bordeaux, situé dans les paluds) et du Château Roc de Cambes, (en Côte-de-Bourg, sur les coteaux). Elle est tenue par sa fille, Nina Mitjavile, qui conserve le style familial. Celui-ci se définit par des raisins à haute maturité, élevés classiquement, avec notamment les meilleurs produits de la tonnellerie Radoux. Le résultat ? Des vins reconnaissables entre mille, aux nez intenses et très boisés dans la jeunesse, vieillissant avec charme, mais qui peuvent fatiguer certains palais à la recherche d'un flacon frais et désaltérant. Les “petits millésimes”, avec des niveaux de maturité plus bas, ressortent souvent comme de vraies réussites, à l’image de 2007. Un style singulier, mais parfois clivant.
Les vins : le domaine de Cambes, dont les vignes, exposées plein sud et plantées sur une veine argilo-calcaire, viennent mourir sur les bords de la Gironde, a produit en 2017 un bordeaux (les paluds des bords de rivière ne sont pas classé en Côtes de Bourg) sanguin et juteux, légèrement mentholé, qui présente la structure épicée et un peu serrée du cabernet-sauvignon. Entre la rivière et la chaleur de la côte, les raisins ont mûri dans des conditions presque tropicales ; l’influence de l’eau apporte cet équilibre parfait entre la richesse et la sapidité, malgré une maturité très élevée. Une route sépare les vignes du domaine de Cambes de celles du château de Cambes, où le 2017 s’offre après un élevage en bois neuf sur une touche de graphite et de terre fraîche, avec une pointe truffée. Intensément frais, le vin est construit sur un fruit radieux et des tanins plus croquants que d’habitude. 2019, au jus un peu sanguin et floral, plus épicé, est une réussite parfaite du millésime.
Les mauvais millésimes n’existent pas dans ce vignoble en amphithéâtre, terreau du saint-émilion anticonformiste produit par la famille Mitjavile. La viticulture n’y ressemble à aucune autre : nécessitant un travailleur par hectare, elle emprunte à toutes les méthodes. La conduite très basse des vignes permet grâce à la chaleur du sol une maturation longue du raisin, et la surface folière très développée favorise la photosynthèse. La maturité étant poussée très loin, jusqu’à l’extrême, avant que les raisins ne basculent dans le chaos, le cycle végétatif du cru n’est pas le même que celui des autres propriétés ! En 2019, ils ont ainsi tout vendangé le 5 octobre. À la cave, l’unicité prévaut : un vin, c’est tout ; un tonnelier, Radoux. Des cuves en béton, ni levure, ni réfrigération, du bois neuf, du collage s’il en faut (ce qui est rare, eu égard aux longs élevages), un léger cliquage de temps en temps, pourquoi pas. François Mitjavile et sa fille Nina (qui dirige également en solo Roc de Cambes, en Côtes de Bourg) n’appartiennent à aucune chapelle ; ils empruntent à toutes, pour produire une exception, que la troisième étoile est venue récompenser dans notre édition précédente.
Les vins : si l’on part du principe qu’un grand vin est bon jeune comme vieux, alors toute la production du domaine coche cette case. Un autre paradigme veut que l’on juge un grand vigneron dans les années difficiles. 2017 en fut une, mais les Mitjavile ont quand même eu le courage d’attendre le plus possible pour atteindre la maturité recherchée. Le vin semble serré et minéral, puis le crémeux prend le dessus. Après 18 mois d’élevage, les notes de graphite et de réglisse ressortent. Malgré une acidité élevée, le 2018 (millésime plus chaud) reste plus qu’aérien, avec une belle empreinte florale, une note de violette éphémère. Il est construit sur un fruit dense, noir et voluptueux, qui accompagne l’énergie d’un vin parfaitement élevé dans son bois neuf. (RVF, les meilleurs terroirs exploités par les plus grands vignerons, noté 3*/3)
Ce côtes-de-bourg signé par François Mitjavile est situé sur un tertre argilo-calcaire exposé plein sud. Le brillant propriétaire de Tertre-Rotebœuf (à Saint-Émilion) l’a développé avec la même exigence méticuleuse pour en faire un grand vin. Avec un terroir voisin mais bien différent, plus alluvionnaire, cambes n’est pas un second vin mais une autre expression, plus souple et veloutée, du talent de François Mitjavile et de sa fille Nina. Les deux vins possèdent leur propre personnalité dans les derniers millésimes, et celle-ci se révèle originale et brillante, loin du bordeaux policé et convenu ! (Bettane & Desseauve, producteur de très haute qualité, la gloire du vignoble français, noté 4*/5)